Historique - Devenir internationale

Opening of the XIth IPSA World Congress in Moscow, 1979

Le développement international de l’AISP hors de son monde occidental natal a pour effet principal et immédiat de politiser l’expansion de l’Association. Choisir d’accepter tel ou tel membre, organiser un Congrès mondial dans telle ou telle région, c’est prendre une décision dont la signification est parfois bien plus politique que scientifique. C’est sur ce numéro d’équilibriste entre deux principes à bien des égards opposés que l’on voudrait, ici, s’attarder.

 

4.1. Développer le membership par-delà les frontières

 

« 1) Existe-t-il dans votre pays une Association
nationale ou simplement un groupement
représentatif des spécialistes de la science
politique ? Je précise qu’il faut entendre ce terme
dans un sens assez large et considérer qu’il couvre
également en principe les professeurs de Droit
public et de gouvernement. Au cas où un semblable
groupement existerait, vous serait-il possible
de m’en communiquer l’adresse, ainsi que le nom
des dirigeants responsables ? 2) Est-il possible
d’obtenir une liste des spécialistes de la science
politique et du droit public de votre pays ?»

Jean Meynaud
secrétaire exécutif de l’AISP,
16 mars 1950


C’est en ces termes que Jean Meynaud libelle la lettre type qu’il envoie, de mars à mai 1950, aux quatre coins du monde. Australie, Danemark, Liban, Yougoslavie, Italie, Argentine, Brésil, Chili, Équateur, Cuba, Pérou, Venezuela, Colombie, Afrique du Sud, Hongrie, Pakistan, Irlande, Japon, Uruguay, Finlande, Portugal… Peu de pays échappent à cette vague de missives : lorsque Meynaud ne dispose pas dans son carnet d’adresses de politistes pour un pays donné, c’est aux représentants d’autres disciplines, voire aux ministres locaux qu’il écrit. Ce faisant, il atteste malgré lui de la faible interconnaissance existant à l’époque entre politistes de différentes nationalités lorsqu’il adresse son courrier à l’ancien ministre finlandais de la Justice Tauno Suontausta, alors qu’existe en Finlande depuis 1935 une Finnish Political Science Association…

Ce démarchage tous azimuts rencontre un certain succès : à la fin de l’année 1955, l’Association ne compte pas moins de vingt-trois membres collectifs, certes occidentaux dans leur majorité, mais avec les notables exceptions des Associations indienne (membre fondateur), israélienne, mexicaine, brésilienne, japonaise, polonaise, yougoslave, australienne, cubaine, ceylanaise et soviétique. L’expansion continue de 1955 à 2009, certes à un rythme moins soutenu, mais en atteignant toutefois aujourd’hui la barre symbolique des 50 membres collectifs. Succès quantitatif donc, qui cache néanmoins quelques affaires délicates. Le cas en 1952 de l’admission allemande, par exemple, est problématique en ce qu’il soulève une levée de boucliers de la part de l’Association israélienne, membre de l’AISP depuis 1950. L’AISP émet elle-même quelques réserves, et refuse de s’engager sur la voie d’une admission allemande sans assurances que cette Association n’admet aucune «personnalité compromise dans le nazisme »33. Ce n’est donc qu’au terme de près de deux ans de procédure – production par l’Association allemande de diverses pièces justificatives, visite en Allemagne du secrétaire exécutif de l’AISP, etc. – que l’Association Internationale intègre ce nouveau membre collectif.

Les tensions se font plus vives encore pour le cas de l’Association soviétique. Elles précèdent même la demande formelle d’adhésion en survenant lorsque Jean Meynaud prend sur lui d’inviter, à la fin de 1954, des représentants de l’URSS au Congrès mondial de Stockholm de l’année suivante. L’initiative est immédiatement critiquée par W. A. Robson, alors président de l’AISP : « I do not think we ought to invite participants to the Stockholm Congress from the USSR and other countries behind the iron curtain without the agreement of the Executive Committee of the IPSA. To invite representatives of the USSR for the first time raises a question of policy on which very strong opinions may be held both by member associations and by members of the Executive Committee. It is therefore necessary, in my opinion, that our colleagues should be given an opportunity to express their views before any action is taken. Not to consult them may provoke violent reactions and criticism from our colleagues and their associations. Moreover, some political scientists may be unable to attend a Congress if official spokesmen of the USSR are present»34. Au-delà de ce qu’elle révèle de la perméabilité de la science politique aux tensions internationales de son temps, cette affaire a une conséquence immédiate sur le fonctionnement de l’AISP en conduisant Jean Meynaud à démissionner de ses fonctions de secrétaire exécutif à la suite du Congrès de Stockholm. Pour ce qui est de l’Association soviétique, elle sera finalement admise comme membre collectif sans que la décision ne soit intégralement le fait de l’AISP : l’entrée de la Russie à l’Unesco rend en effet délicate la mise à l’écart de cette même Russie des associations internationales fondées sous la houlette de cette organisation. Le cas de l’Association soviétique n’est par ailleurs que le premier d’une série de difficultés liées au contexte politique particulier de l’Europe de l’Est, comme en rend compte le témoignage d’André Philippart, secrétaire général de l’AISP de 1967 à 1976 (voir pages 54-55).

 

André PhilippartL’AISP à l’Est

La période 1967– 1973 fut marquée par la création de nouvelles associations nationales de science politique dans l’Europe de l’Est, la plupart du temps à la requête de collègues des pays concernés, essentiellement des juristes et professeurs de droit, liés au pouvoir en place, mais manifestant une certaine tendance à s’exprimer « autrement » avec les précautions d’usage. L’URSS, la Yougoslavie, la Pologne faisaient déjà partie de l’AISP et «gouvernaient » les éventuelles adhésions des pays sous tutelle. Lors des réunions du Comité Exécutif, la tension était forte entre Tchikvadze et Zivs (pour l’URSS) et notamment Karl Friedrich, Sam Finer, Jacques Freymond, Giovanni Sartori (qui remplaçait Mario Viora), Alfred Grosser. La Tchécoslovaquie qui était entrée en 1964 avait beaucoup de difficulté à se faire admettre et la Yougoslavie (via Pasic) n’engendrait pas de fortes sympathies. JerzyWiatr pour la Pologne n’était pas proche des positions défendues par son compatriote Stanislaw Ehrlich. Jean Laponce et Kurt Sontheimer jouaient les rôles de modérateurs.

Lorsque le Comité Exécutif décida de tenir une table ronde à Prague au cours de sa réunion à Salzbourg en septembre 1968, le Printemps de Prague venait de s’achever (le 21 août 1968) par l’intervention militaire de l’URSS. Le Comité Exécutif décida d’envoyer immédiatement une délégation conduite par le président Karl Friedrich et le secrétaire général à Prague pour s’enquérir du climat politique. Nous nous rendîmes donc en octobre 1968 dans une ville occupée, mais dans l’impossibilité d’avoir les contacts espérés, piégés dans notre hôtel. Néanmoins la Table Ronde prévue par le Comité Exécutif fut maintenue pour les 18 et 19 septembre 1969.

Le « Socialisme à visage humain » du 5 janvier 1968 d’Alexander Dubcek avait vécu. Les changements prônés de la liberté de la presse, d’expression et de circulation, de la décentralisation de l’économie, de la fédéralisation étaient envoyés aux oubliettes. Gustav Husak avait remplacé Dubcek. Le Pacte de Varsovie avec la Bulgarie, la Pologne, la Hongrie, la RDA et l’Albanie sous l’autorité de l’URSS, mais sans la Roumanie avait renversé le Président Svoboda. Gustav Husak prenait la responsabilité de la « normalisation » et réprimait par une colonne de tanks (de l’armée tchécoslovaque) les manifestations au centre de Prague. Les collègues qui avaient invité l’AISP avaient été écartés et remplacés par des thuriféraires des nouveaux dirigeants. Néanmoins la table ronde eut lieu à Prague en septembre 1969, avec l’espoir de pouvoir infléchir quelque peu la tendance au durcissement de la répression. Rien n’y fit et le passage à la télévision tchécoslovaque d’André Philippart pour expliquer les raisons de la présence de l’AISP apparaissait comme l’apport d’une caution, car les propos ne furent pas traduits et remplacés par un monologue du présentateur. Sous la conduite de Sam Finer, très en colère, tous les participants à la Table Ronde décidèrent de quitter Prague.

La doctrine Brejnev envenima par la suite les débats concernant les associations nationales qui venaient d’être créées en Roumanie, Bulgarie et Hongrie. Ce fut une période douloureuse, car mai 1968 et la guerre du Vietnam s’ajoutaient aux événements de l’intervention du Pacte de Varsovie. Les Comités successifs jusqu’au Congrès d’Edinburgh de 1976 eurent à prendre en compte les tensions que ces événements avaient générées entre les membres des Comités Exécutifs successifs. Le relâchement ne fut visible qu’au Congrès de Moscou en 1979. Il est vrai que les nouveaux dirigeants de l’association soviétique, pourtant encore proches du pouvoir, avaient pris progressivement une forme d’autonomie. Mais la tendance à la liberté d’expression était devenue manifeste, l’ère Gorbatchev se mettait en place.

Stein Rokkan, Jean Laponce et Karl Deutsch furent des présidents très actifs et convaincants dans ce changement. L’Association Internationale de Science Politique avait joué un rôle non négligeable par les nombreux contacts dans les pays de l’Europe de l’Est : par exemple, André Philippart se rendit à 14 reprises en Pologne, Roumanie, Bulgarie et Hongrie pour organiser ou soutenir des Tables Rondes de Comités de Recherche de l’AISP.

André Philippart
Secretaire général de l’AISP – 1967-1976

 

 

Au chapitre des affaires difficiles, le cas chinois, beaucoup plus tardif, mérite aussi d’être mentionné. L’affaire survient au milieu des années 1980, lorsque l’association taïwanaise de science politique manifeste son intention de rejoindre l’AISP. Des tensions apparaissent immédiatement avec la Chine, déjà membre de l’Association, au sujet du nom de l’association taïwanaise. Cette dernière revendique en effet le libellé d’ « association chinoise de science politique (Taipei) », position que refuse l’association de la République Populaire au nom du principe d’une seule Chine. Au terme de plusieurs années de débats terminologiques stériles et d’insatisfaisants compromis, le Comité Exécutif de l’AISP finit par accepter, en 1989, l’admission de Taïwan sous le nom d’ « association chinoise de science politique (Taipei) », en indiquant explicitement que cette décision n’a pas vocation à constituer une atteinte au principe politique d’une Chine unique. Ces précautions n’empêcheront toutefois pas les protestations de l’association chinoise de science politique, qui mettra un terme à son appartenance à l’AISP deux ans plus tard. À ce jour, les efforts déployés par l’Association Internationale pour réintégrer la Chine n’ont pas encore porté leur fruit.

Outre ces difficultés ponctuelles, l’expansion géographique de l’AISP pose également des questions plus structurelles. En effet, à mesure que la base de l’Association s’élargit, les priorités de son Comité Exécutif changent : là où il s’agissait d’abord et avant tout, au cours des premières années, d’atteindre une masse critique de membres, l’AISP cherche de plus en plus à encadrer son expansion par le principe d’équilibre géographique. Largement inspiré de « la manie de la représentation géographique» de l’Unesco35, ce principe de base a deux conséquences. Il conduit, d’abord, l’Association à tenter d’instaurer et de maintenir une représentation de toutes les régions du monde dans ses structures et ses activités : il faut s’assurer que chaque continent soit adéquatement représenté au Conseil, au Comité Exécutif, aux Congrès, dans les articles de la Revue Internationale de Science Politique, etc. Il a, aussi, un impact sur le choix des villes hôtes des manifestations de l’AISP, dans la mesure où l’organisation d’une Table Ronde, d’un Congrès ou d’un Symposium dans telle ou telle région du monde est porteuse d’un message d’encouragement ou de reconnaissance du développement local de la science politique. C’est sur la politique particulière qui guide le choix des lieux de Congrès que l’on voudrait donc, pour terminer, s’attarder.

 

4.2. La politique des Congrès

 

« Il faut regretter qu’aucun des orateurs qui sont
intervenus dans les séances d’ouverture et de
clôture du Congrès n’ait cru devoir rappeler ces
vérités élémentaires : que la science politique ne
se confond pas avec le militantisme politique, que
la cause de l’amitié des peuples, si justifiée soitelle,
ne doit jamais conduire à sacrifier la
recherche de la vérité. »

Marcel Merle
membre du Comité Exécutif de l’AISP,
Le Monde,
21 août 1979

 

Programme du IXe IPSA Congrès mondial, Montréal, Québec – 20-25 août 1973Pilier fondamental de la politique de choix des lieux de Congrès, le principe d’équilibre géographique permet notamment d’expliquer pourquoi l’AISP a, pendant longtemps, été réticente à l’organisation d’un Congrès aux États-Unis. Dans un contexte d’hypertrophie de la science politique américaine, il s’agissait en effet d’éviter que cette domination se traduise jusque dans les structures de l’Association. D’un point de vue purement quantitatif, cette crainte que « l’Association devienne, par le jeu des circonstances, une affaire purement anglo-saxonne»36 était bel et bien fondée : l’APSA, forte de son contingent de plus de 10000 membres, « pesait » potentiellement beaucoup plus lourd que toutes les autres associations nationales réunies. C’est pour cela que les huit premiers Congrès de l’Association ont été européens (Zürich 1950, La Haye 1952, Stockholm 1955, Rome 1958, Paris 1961, Genève 1964, Bruxelles 1967, Munich 1970), et qu’il a fallu attendre 1973 pour que l’AISP, surmontant ses appréhensions, tienne son premier Congrès mondial Outre-Atlantique. Et ce n’est qu’à partir de cette première incursion que la politique de rotation s’est faite plus affirmée. Après le Congrès d’Edimbourg (1976) ont ainsi été prises deux décisions audacieuses: celles de tenir les Congrès de 1979 et 1982 respectivement à Moscou et à Rio de Janeiro, deux destinations non occidentales. Après un retour en Europe en 1985 – qui a fait de Paris la seule ville à avoir accueilli le Congrès mondial plus d’une fois – l’AISP s’est rendue à Washington (1988), Buenos Aires (1991), Berlin (1994) et Séoul (1997), marquant ainsi sa décentralisation. Les Congrès des années 2000 ont constitué un aboutissement, les cinq villes de Québec (2000), Durban (2003), Fukuoka (2006), Santiago (2009) et Madrid (2012) incarnant autant de continents différents.

Ce principe d’égalité géographique est si prégnant que toutes les autres considérations ne lui sont que secondaires. Seule la politique linguistique de l’AISP, elle aussi très ancrée dans son histoire, ne donne lieu qu’à d’exceptionnels aménagements: bilingue français-anglais depuis l’origine37, l’Association s’est en effet régulièrement vue confrontée à des demandes de reconnaissance de langues supplémentaires – lors des Congrès de Stockholm 1955 et Rome 1958 par exemple – mais les a toujours refusées par crainte d’introduire un «dangereux précédent »38. Il n’en va pas de même, par exemple, pour les problèmes matériels, logistiques et financiers : les décisions de tenir des Congrès à Moscou, Rio de Janeiro ou encore Durban n’étaient en effet pas viables sur ces plans, et la tenue de ces trois manifestations a à ce titre soulevé beaucoup d’opposition. Mais dans les trois cas, l’AISP a tenu bon et ouvert la voie en devenant l’une des premières associations scientifiques internationales à franchir le rideau de fer, à s’ouvrir au tiers-monde et à se rendre en Afrique. Dans ce dernier cas, elle est même devenue un modèle pour l’Association Internationale de Sociologie, qui s’est rendue à Durban trois années plus tard.

 Map monde - Inscription aux congrès  Map monde - Inscription aux congrès 

Les exemples russe, brésilien et sud-africain sont aussi là pour prouver que les considérations politiques ne sont pas déterminantes dans la décision de tenir un Congrès dans telle ou telle région du monde. Les antagonismes politiques sont presque, au contraire, une incitation à l’organisation de telles manifestations. Car l’Association souhaite avant tout montrer que le dialogue entre politistes n’est pas bridé par leur diversité. Bien sûr, l’aspect polémique de ces décisions n’est pas ignoré – mais à travers l’exemple moscovite, on voudrait montrer qu’il n’est pas décisif.

En franchissant le rideau de fer, l’AISP prend une décision audacieuse : elle est l’une des premières organisations internationales à tenir sa manifestation phare en territoire soviétique. Le fait que l’objet d’étude de l’Association soit aussi sensible que le politique est facteur de tensions supplémentaires. Un débat se structure ainsi très vite entre les adversaires de la tenue du Congrès à Moscou – pour lesquels l’organisation du Congrès est une forme de légitimation du régime soviétique – et ses partisans – pour lesquels cette étape est soit un impératif heuristique qui n’a pas à être récupéré sur le plan politique, soit une contribution à l’entreprise de conversion de l’URSS aux valeurs occidentales. La discussion ne se cantonne pas aux frontières du Comité Exécutif, ni même à celles de l’Association : en basculant du statut de problème de science politique à celui d’affaire politique, elle s’étale aussi dans les presses américaine, russe ou encore française. Au vu des arrestations des universitaires dissidents Yuri Fyodorovitch Orlov et Alexander Ginsburg au cours des années 1977 – 1978, en claire contradiction avec les accords d’Helsinki, le problème se pose avec une acuité toute particulière et l’AISP est, au cours de l’été 1978, sommée de justifier sa décision et de fournir un certain nombre de garanties. C’est par un communiqué du Comité Exécutif que l’Association clarifie alors les choses : pour elle, il n’existe pas de motif valable de refuser l’invitation d’une association nationale membre de l’AISP depuis 1955. Tout en prenant « pleinement conscience de ses responsabilités à l’échelle du monde et des ramifications internationales que peut susciter son jugement », le Comité Exécutif affirme qu’ « aucune discipline n’a autant besoin de franchir les frontières, de susciter une connaissance et une étude comparative de son objet que la science politique », et que la poursuite de cet objectif est même susceptible de contribuer, à terme, à « l’instauration d’un climat de confiance et de respect mutuel entre des sociétés, des idéologies et des systèmes politiques différents ». Une condition sine qua non est toutefois imposée : tous les politistes bona fide doivent avoir libre accès au Congrès, et « l’aval donné à la réunion serait immédiatement retiré si les conditions d’accès libre et de liberté de communication, de discussion et de parole n’étaient pas respectées »39.

Tiré du magazine The Graduate – Mars-avril 1980À mesure que le Congrès approche, l’atmosphère se fait malgré tout délétère, une polémique de dernière minute liée aux visas de la délégation israélienne mettant même en péril la tenue du Congrès. Une forme de paranoïa fait aussi son apparition, illustrée par cette anecdote narrée par John Trent, à l’époque secrétaire général de l’AISP : « une fois, j’étais à Moscou, on marchait dans la rue, et le viceprésident américain [qui] était à côté de moi [me dit] “ John, they’re following us “. I said “ who’s following us ? “. He said “the KGB“. I said “ bullshit ! None is interested ! They don’t care about a couple of political scientists ! “. [Vous savez], ils avaient toujours des écouteurs dans nos chambres d’hôtels, mais ils faisaient ça pour tout le monde. Finalement, j’ai pris son bras, et je l’ai tiré sous le porche d’un bâtiment, et je lui ai dit “ attendez, attendez “. Il n’y avait personne, il n’y avait absolument personne. J’ai dit “ est-ce que vous êtes convaincu maintenant, ça va ? “ »40.

Lorsque le Congrès commence, l’objectif principal est finalement atteint : tous les membres collectifs de l’AISP sont représentés par des délégations, et aucun politiste ne s’est vu refuser son visa. Le déroulement du Congrès lui-même donne cependant lieu à polémiques : des difficultés vont survenir sur lesquelles partisans et adversaires de la politique de l’Association insistent évidemment de manière inégale. Certains soulignent ainsi la non-participation d’une proportion importante des chercheurs américains, la « contamination » des politistes présents au Congrès par la propagande soviétique, la multiplication des panels sur la pensée de Lénine ou encore la mise à l’écart des débats du mathématicien dissident Aleksandr Lerner. D’autres mettent au contraire l’accent sur la présence au Congrès de représentants de tous les membres collectifs de l’AISP, sur l’importation en territoire soviétique de plusieurs milliers de communications scientifiques, ou sur la bonne tenue générale du Congrès, encourageante en vue des Jeux Olympiques de 1980, organisés eux aussi à Moscou.

Il est, finalement, entre les interprétations multiples et contradictoires du bilan du Congrès, difficile de conclure au « succès» ou à l’ « échec» de la manifestation. La réalité se situe probablement entre ces deux extrêmes, mais une chose est sûre : la décision de tenir le Congrès de Moscou allait à contre-courant du climat politique de l’époque, et elle était à ce titre audacieuse. Malgré les éventuels défauts, il y a eu rencontre Est-Ouest comme il y aura rencontre avec le Tiers-Monde trois ans plus tard à Rio de Janeiro, et rencontre Nord-Sud en 2003 à Durban. Dans un contexte défavorable politiquement mais aussi financièrement, l’AISP a ainsi affirmé sa capacité à rester campée sur ses objectifs originels : mettre tout en oeuvre pour créer, malgré les barrières physiques et intellectuelles, une communauté internationale de spécialistes de la science politique.
 

 

 

Notes

  1. Lettre de Jean Meynaud à Harold Zink, 4 février 1951.
  2. Lettre de William A. Robson à Jean Meynaud, 24 décembre 1954.
  3. Lettre de Jean Meynaud à William A. Robson, 20 mars 1952.
  4. Lettre de John Goormaghtigh à Maurice Duverger, 19 août 1958.
  5. La politique linguistique des Abstracts illustre cette double orientation :    dans  les  Abstracts, tous  les  articles  originellement  publiés  en anglais sont résumés en anglais, et les articles écrits dans une langue autre que l’anglais sont, parfois, résumés en français. Les statuts de l’AISP sont également rédigés dans les deux langues, et l’on notera que,  le  siège  officiel  de  l’AISP étant  situé  à  Paris,  c’est  la  version française  qui  a  seule  valeur  légale.  Dans  les  travaux  et  débats  de l’AISP, l’anglais l’emporte désormais, comme dans toutes les disciplines.
  6. Lettre de William A. Robson à Jean Meynaud, 5 mars 1955.
  7. AISP, « Déclaration du CE de l’AISP relative à la tenue du Congrès mondial de 1979 à Moscou ».
  8. Entretien avec John Trent, 13 novembre 2008.