« Quelle évolution suivra la science politique
à mesure que notre association étendra son
influence à des associations crées dans toutes
les régions du monde ? Je ne saurais le dire. »
Quincy Wright
premier président de l’AISP, dans son
discours d’ouverture du Congrès de Zürich,
4 septembre 1950
Conclure ce tableau partiel et partial de l’histoire de l’Association Internationale de Science Politique n’est pas chose aisée. On attendrait, idéalement, un bilan tranché et des perspectives d’avenir claires. Mais on ne peut, au mieux, que poser quelques conclusions et conjectures subjectives.
Au chapitre du bilan, il serait pour le moins abusif de conclure à l’accomplissement par l’AISP des objectifs que lui avait, dès l’origine, fixé l’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture. Au côté d’autres associations internationales, elle était chargée de diminuer les tensions internationales, améliorer le fonctionnement des institutions politiques et faire prospérer la civilisation. Mais si l’Association a, à son échelle, contribué à créer du dialogue entre politistes de différentes nationalités par-delà les frontières politiques, on a peine à lui reconnaître une responsabilité dans des événements géopolitiques tels le dégel de la Guerre Froide.
L’AISP a en revanche indéniablement inscrit ses activités dans l’optique de son objectif statutaire de « promouvoir la science politique à travers le monde ». Et c’est surtout sur la base de sa consolidation institutionnelle progressive qu’elle a pu évoluer vers la concrétisation de cet objectif. Sur le plan organisationnel, l’AISP a en effet su se doter dès les origines de structures politiques stables dont elle a adapté le fonctionnement en fonction des époques. Elle est également parvenue à développer une assise administrative capable de supporter la diversification des activités de l’Association. Le résultat de ces évolutions est une organisation à la fois suffisamment souple pour innover dans ses activités, et suffisamment solide pour mener à bien ces initiatives.
Ce sont la multiplicité et la variété de ces dispositifs qui témoignent de la contribution apportée par l’Association au développement intellectuel de la discipline. Congrès, Tables Rondes, Symposiums, Revue, Abstracts et ouvrages sont autant de contributions qui ont, chacune à leur manière et sans que l’on puisse évaluer leur impact de manière plus précise, contribué à forger le paysage intellectuel de la science politique tel que l’on le connaît aujourd’hui.
Mais la contribution la plus importante de l’AISP à l’évolution de la discipline se situe sans doute sur le plan social plutôt que purement intellectuel : s’il existe une communauté internationale de politistes au sens mertonien, l’AISP a sans aucun doute appuyé sa construction. Elle n’est, certes, pas la seule dans ce cas – le European Consortium for Political Research, l’International Studies Associations voire même l’American Political Science Association ont toutes contribué à rassembler des politistes des quatre coins du monde en nombres impressionnants – et il est difficile d’attribuer le développement de réseaux de recherche transnationaux à telle ou telle structure institutionnelle. Mais les succès accumulés lors de ces soixante premières années d’existence sont autant de pierres apportées à l’édifice commun à toutes ces organisations. Ces contributions sont parfois passées par des décisions ponctuelles audacieuses, notamment lorsqu’il s’est agi de créer des ponts entre Ouest et Est dans une année pourtant marquée par un regain de tensions politiques entre Moscou et Washington, ou encore quand la décision a été prise de faire fi des considérations financières pour tenir à Rio de Janeiro ou à Durban des Congrès « passerelles » entre Nord et Sud. Mais elles sont, aussi, le fruit d’un programme et de dynamiques de plus long terme. L’effort a ainsi porté, d’abord et avant tout, sur le membership : à travers un démarchage actif et constant, l’Association est ainsi parvenue à intégrer suffisamment de membres collectifs pour prétendre à une certaine universalité de sa couverture géographique. Avec ses International Political Science Abstracts, elle a adopté une formule originale de diffusion de la connaissance produite par la discipline au-delà des barrières linguistiques. Au moyen du dispositif des Comités de Recherche, elle a appuyé sur les plans logistiques et financiers la constitution et la pérennisation de groupes de recherche multinationaux. Avec ses Congrès, Tables Rondes et Symposiums, elle a offert des opportunités de rencontres internationales régulières.
Quant aux perspectives d’avenir, on ne peut guère qu’esquisser les défis que l’AISP doit encore relever en collaboration avec les autres associations de science politique, qu’elles soient nationales ou internationales. Malgré les succès, certaines des questions identifiées il y a soixante ans sont en effet encore d’actualité aujourd’hui. Il en va ainsi des questions de méthode et d’enseignement, déjà listées comme prioritaires à la fin des années 1940 : dans un contexte de croissance exponentielle des approches méthodologiques et théoriques et de renouveau des méthodes pédagogiques traditionnelles, le maintien d’un dialogue entre les différentes écoles qui font la science politique est peut-être plus que jamais nécessaire. De même, la mission statutaire de promotion de la discipline sur les cinq continents n’est pas achevée : trop de pays, dont la grande Chine, sont encore en dehors du giron de l’AISP. Pour les intégrer, l’Association devra sans doute jouer de ce qui est devenu sa marque de fabrique : associer à ses traditions et à ses solides bases institutionnelles quelques « coups » politiques audacieux.