Historique - Contribuer au développement intellectuel de la Science Politique

Cérémonie d’ouverture du VIIe Congrès mondial de l’AISP – Bruxelles, 18-28 septembre 1967

Au cours de son histoire, l’AISP s’est efforcée d’atteindre deux objectifs: diffusion géographique la plus large de la science politique, que l’on abordera dans la troisième partie cette histoire, et contribution à l’évolution intellectuelle de la discipline. Sur ce point, l’enjeu pour l’Association est de participer à la quête de légitimation et d’autonomisation de la science politique, vis-à-vis à la fois des autres disciplines et du champ politique.
 

« Lorsque nous avons entrepris de nous occuper des idéologies,
il était entendu que le sujet intéressait le département
[des sciences sociales] et que nous aurions une
subvention. Malheureusement, le département a changé
de chef entre temps et le nouveau chef a déclaré que ce
sujet n’avait pas d’intérêt en dehors du cercle étroit de
l’AISP ! Là-dessus, [la directrice du département] Mme
Myrdal nous a vivement encouragés à étudier le gouvernement
local, mais le gouvernement local n’ayant pas
fait l’objet d’une résolution 3.36 ou 4.72, il n’était pas
possible de trouver le moindre financement pour lui.
Restait finalement le rôle politique des femmes, sujet dont
je dois vous dire qu’il est très loin de m’emballer, mais
qui justifie du point de vue de l’Unesco de l’octroi de
subsides importants. »

Jean Meynaud
secrétaire exécutif de l’AISP, 4 février 1952

 

3.1. S’autonomiser du champ politique et des autres disciplines

La dépendance financière de l’AISP vis-à-vis de l’Unesco place l’Association dans une situation délicate sur le plan de ses orientations intellectuelles. Il s’agit en effet de se plier aux idées, aux objectifs et aux missions de son organisme de tutelle, tout en essayant d’imposer, petit à petit, ses propres conceptions du programme, des méthodes et de l’épistémologie de la science politique. L’AISP, en d’autres termes, est dans une position charnière entre une source de financement dont les objectifs sont politiques, et une communauté de chercheurs dont les visées sont scientifiques. Ce mouvement vers l’autonomie passe d’abord par une rupture avec l’épistémologie positiviste, inspirée des sciences de la nature, que l’Unesco tend à associer, dans les premières années, aux sciences sociales. Les réactions de l’AISP à ces prescriptions épistémologiques sont passablement agacées, comme l’illustre ce commentaire de Jean Meynaud à Kazimierz Szczerba-Likiernik, du département des sciences sociales de l’Unesco, le 4 septembre 1952: « je voudrais vous présenter, pour terminer, un très amical reproche. Vous avez bien voulu faire suivre vos propositions d’un document établi par le département des sciences exactes et naturelles. J’ai lu ce document sans en tirer aucun profit et j’ai regretté le temps perdu à cette tâche. Les besoins et les problèmes des sciences sociales sont, au stade actuel, entièrement spécifiques et originaux. Les gens des sciences exactes marquent une tendance à accorder valeur universelle à leurs raisonnements et à leurs prestations. Je voudrais qu’une bonne fois le département des sciences sociales cessât d’encourager cette tendance extrêmement futile et nous laisse entièrement le soin de déterminer ce qui convient aux disciplines dont nous avons la charge».

Cette question du rapport aux sciences de la nature est cependant du domaine de l’anecdote au regard des questions plus récurrentes d’autonomie de la science politique vis-à-vis des autres sciences sociales. Le problème est, on l’a vu, au centre du projet d’AISP dès la réunion de 1948, et il va régulièrement resurgir au cours des premières années d’existence de l’AISP. Ces velléités de mise à distance des juristes, des historiens ou encore des philosophes vont souvent prendre des accents de lutte entre les modernes, promoteurs d’une science politique autonome, et les anciens, plus réticents aux nouvelles techniques « d’observation positive»21. Et elles vont, ponctuellement, se traduire par des tensions. Cela est notamment le cas lorsque l’Unesco décide, en 1952, de déléguer la gestion de ses relations avec les nouvelles associations internationales de sciences sociales à un Conseil International des Sciences Sociales (CISS). On comprend aisément que, dans un contexte où l’Unesco constitue la principale – pour ne pas dire l’unique – source de financement pour les nouvelles associations, le choix du secrétaire général du CISS ait donné lieu à des luttes de pouvoir. L’AISP, pour sa part, verrait la nomination d’un sociologue comme un danger, la sociologie étant perçue comme une discipline à prétentions hégémoniques peu compatibles avec l’autonomisation de la science politique. Elle s’oppose par ailleurs avec véhémence à la nomination proposée de Claude Lévi-Strauss, lui aussi perçu comme dangereux au motif qu’il a été formé en philosophie : «his training was the agrégation of philosophy, which in France is considered one of the main handicaps to the development of social sciences. He then turned to anthropology and has written a most remarkable book which I believe is on the elementary structures of family relationships. All this does not make him capable of promoting efficiently political science or economics. Lévi-Strauss belongs to those who do not consider political science a real science. Without any doubt, the political aspects of the contemporary world would be neglected by the council if he were appointed to this position»22 . Ces craintes n’empêcheront pas, toutefois, l’anthropologue d’être finalement désigné secrétaire général du CISS.

Congrès de Paris, 1961 – De gauche à droite : Karl W. Deutsch, P. Pesonen, A. Ranney, James K. Pollock, Stein Rokkan, Bob McKensieDes tensions apparaissent également, et du reste plus fréquemment, avec le droit. La plus spectaculaire d’entre elles éclate au sein même de l’AISP à la fin des années 1950, lors de la préparation du Congrès de Rome (1958). Elle est liée au choix du rapporteur général sur le thème des « rapports entre exécutif et législatif ». Suite au désistement de François Goguel, originellement pressenti pour cette tâche, le secrétaire exécutif John Goormaghtigh prend en effet l’initiative d’inviter Georges Vedel. Ce choix provoque la forte opposition du président de l’AISP, James Pollock, pour qui il est hors de question de convier un juriste de formation à occuper une place si éminente à un Congrès de science politique. Il faudra une colère du vice-président Maurice Duverger et une menace de démission de John Goormaghtigh pour que James Pollock finisse par céder, au terme de discussions épistolaires très sèches.

Au fil des années, ces tensions entre science politique et autres disciplines se font toutefois de plus en plus rares. L’explication de ce phénomène est des plus classiques : elle tient à une routinisation des frontières entre sciences sociales, que les renouvellements de génération successifs contribuent à naturaliser. De sorte que l’empiètement occasionnel d’une discipline sur le pré carré d’une autre est de moins en moins perçu comme une menace pour l’autonomie.

Outre ces relations difficiles avec les autres sciences sociales, la science politique entretient avec le champ politique des liens ambigus. Elle y est, bien sûr, contrainte par le soutien financier de l’Unesco. L’Organisation des Nations Unies pour l’Éducation, la Science et la Culture exerce en effet, en contrepartie de son assistance, un certain contrôle sur les activités de l’AISP : il est, pour l’Association, stratégique de s’insérer au mieux dans le programme politique de l’Unesco, quitte à accepter parfois de conduire des enquêtes dont l’intérêt scientifique est peu évident. Tout le pari consiste alors à miser sur le fait que « l’on arrive parfois à faire des choses utiles à partir de projets moins raisonnables : tout est dans les personnes que l’Unesco charge de réaliser ces projets »23. C’est ainsi sous l’impulsion de l’Unesco que l’AISP contribue à l’étude d’objets comme « le rôle des minorités dans les relations internationales » (1950), les « conditions minimales pour une Union effective et permanente d’États » (1950) ou encore « le rôle politique des femmes » (1952). À mesure cependant que l’Association s’autonomise financièrement, elle augmente d’autant son contrôle sur son propre programme; et à partir de 1995 et de la décision de l’Unesco de ne plus financer les associations internationales que sur la base de projets, la marge de manoeuvre devient totale. Les liens de l’AISP au politique ne se limitent toutefois pas au poids variable de l’Unesco dans la détermination de son programme scientifique.

Nombreux sont en effet les membres du Comité Exécutif qui, notamment dans les années 1950, exercent parallèlement à leurs activités scientifiques des responsabilités politiques. C’est par exemple le cas de Fehti Celikbas, élu à l’Assemblée turque au cours de son mandat au Comité Exécutif, ou encore de Gunnar Heckscher, membre important du parti de droite suédois (« Högerpartiet ») qui aurait sans doute été désigné président de l’AISP en 1958 s’il n’avait pas été élu, un an plus tôt, au Parlement de son pays. Paradoxalement, à la différence de la proximité aux disciplines voisines, cette ambiguïté vis-à-vis du champ politique est plutôt valorisée. Elle est en effet perçue comme une opportunité d’enrichir la science politique : devenir homme politique, c’est passer « de l’autre côté de la barricade », et avoir à ce titre la possibilité d’accéder à plus de ressources qu’un politiste « ordinaire», bridé par son appartenance au champ académique24. Cet apport décisif justifie que l’on fasse abstraction des difficultés occasionnées par un champ politique parfois peu arrangeant à l’égard de ces « agents doubles». Par exemple, Maurice Duverger et Roger Pinto se voient ainsi refuser une aide financière pour participer à la Table Ronde AISP de Florence par la Direction Générale des Relations Culturelles au motif, évidemment implicite, de leurs prises de position politiques sur la question de la Communauté Européenne de Défense (CED)25. De même, en 1958, le bon fonctionnement de l’Association est perturbé par l’absence au Congrès de Rome de Maurice Duverger, resté en France pour participer à la campagne contre la Constitution de la Cinquième République26.

Pour valorisée qu’elle soit, cette présence du politique dans le Comité Exécutif à travers la double casquette de certains de ses membres va elle aussi progressivement s’estomper, pour devenir plus occasionnelle. Cette tendance lourde à la « professionnalisation » des universitaires ne signifiera cependant pas, on y reviendra, que le facteur politique ne sera plus présent dans les discussions relatives à l’admission de tel ou tel membre, ou à la tenue d’un Congrès dans telle ou telle région.

L’autonomisation des politistes, telle que l’on vient de la décrire à travers une mise à distance à la fois du politique et des autres sciences sociales, a l’inconvénient majeur de faire passer la science politique pour une discipline qui se définit essentiellement par la négative. Pour que le tableau soit complet, il faut donc aussi reconnaître l’action proactive de l’AISP: par la mise en place d’activités scientifiques variées, l’Association contribue en effet à une définition plus « positive » de la science politique.

 

3.2. Promouvoir la science politique par une multitude d’activités

 

« Le comité de programme d’un Congrès mondial
n’a pas la tâche facile. D’un côté on lui demande
de retenir tous les champs de la discipline et d’un
autre côté on veut qu’il mette l’accent sur les
aspects les plus valables de la discipline. »

Serge Hurtig
directeur des
International Political Science Abstracts,
9 Janvier 1980

 

Les activités par lesquelles l’AISP contribue à enrichir la science politique sont pour le moins variées. Chronologiquement, les premières sont les grandes enquêtes commandées par l’Unesco, dont l’objectif est autant de dresser un « état des lieux» de la discipline que de contribuer à son évolution.

On ne reviendra pas sur le projet « méthodes des sciences politiques» de Raymond Aron qui a constitué la base sur laquelle s’est construite l’AISP. Le second projet, « l’enseignement de la science politique », centré sur la question des formations universitaires, a une dimension plus « concrète » que les considérations épistémologiques du précédent. Coordonné par le rapporteur général William A. Robson, futur président de l’AISP (1952-1955), il dresse un tableau exhaustif de l’histoire de la science politique universitaire en Suède, au Royaume-Uni, aux États-Unis, en France, au Canada, en Inde, au Mexique, en Pologne, en Allemagne et en Égypte.

Cet état des lieux des méthodes de recrutement et d’enseignement, du contenu des syllabus et des diplômes ou encore de l’articulation de l’enseignement à la recherche permet à l’AISP de mesurer les obstacles qu’il lui reste encore à franchir pour atteindre son objectif d’harmonisation.

Ces grandes enquêtes ont cependant un caractère exceptionnel en ceci qu’elles ne seront pas, au cours de l’histoire de l’Association, régulièrement renouvelées. Plutôt que sur l’organisation de grandes investigations multinationales de ce type, l’activité « routinière » de l’AISP repose en effet plutôt sur l’organisation de manifestations scientifiques, dont les Congrès mondiaux constituent le fer de lance. Au cours de l’histoire de l’AISP, ces Congrès triennaux ont évolué, bien sûr dans leurs effectifs – on est passé de quelques quatre-vingt personnes au Congrès de Zürich (1950) à plus de deux mille participants au Congrès de Fukuoka (2006) – mais aussi dans leur philosophie et leur organisation. Les premiers Congrès reposaient en effet sur le choix de deux ou trois sujets autour desquels les interventions s’articulaient, organisées par des rapporteurs généraux chargés d’opérer la synthèse des travaux. À mesure de la montée du nombre de participants et du développement des Comités de Recherche, cette structuration autour d’un nombre limité de sujets relativement spécifiques est cependant devenue délicate. On est alors passé, à partir du Congrès d’Édinbourg 1976, à une organisation autour d’un thème englobant – « Le temps, l’espace et la politique» en 1976, « La paix, le développement et la connaissance» en 1979, « La société au-delà de l’État dans les années 1980 » en 1982, «L’État, son évolution et son interaction avec la société nationale et internationale» en 1985, «Vers une science politique globale» en 1988, « Centres et périphéries dans la politique contemporaine» en 1991, « Démocratisation » en 1994, «Ordre et conflit» en 1997, « Capitalisme mondial, gouvernance et communauté» en 2000, « Démocratie, tolérance, justice : défis pour le changement politique » en 2003, « La démocratie fonctionne-t-elle ?» en 2006 et «Mécontentement global? Les dilemmes du changement» en 2009 – sous la responsabilité d’un président du Comité de programme, tout en laissant à la disposition des Comités de Recherche et des travaux « hors thème principal» un certain nombre de sessions indépendantes. Comme l’illustrent les propos de Serge Hurtig en tête de ce chapitre, l’élaboration du programme d’un Congrès mondial est un exercice délicat : se posent souvent des dilemmes entre spécificité et universalité, ou encore entre science politique « classique » et innovation.

  Table ronde de Tokyo, 1982  

L’objectif de ces Congrès, s’il est pour partie scientifique, est d’abord et avant tout social. Il doit certes, comme le souligne Francesco Kjellberg – président du Comité de programme en 1985 et secrétaire général de l’AISP de 1988 à 1994 – « contribuer à renforcer les aspects comparatifs de notre discipline », « rappeler l’unité de la science politique » et « contribuer au renouvellement des générations en science politique »27. Mais le Congrès doit surtout constituer un lieu d’échanges et d’interactions : «un Congrès comme celui que nous préparons a pour objet de développer un peu partout dans le monde l’intérêt porté à la science politique. Nous avons inscrit à notre programme l’étude d’un certain nombre de thèmes scientifiques et certes nous espérons obtenir des résultats valables pour chacun de ces thèmes. Mais le travail scientifique n’est pas le but exclusif d’un Congrès international. Un autre but est de permettre à des personnalités appartenant à des pays de civilisation différente de se rencontrer, de prendre des contacts et d’avoir ainsi conscience de leurs forces et de leurs faiblesses »28.

Pour importants que soient les Congrès mondiaux dans la vie et l’histoire de l’Association Internationale de Science Politique, ils ne constituent pas néanmoins sa seule activité scientifique. Entre les Congrès, la tenue de réunions du Comité Exécutif a en effet souvent donné lieu à l’organisation de Tables Rondes. Depuis la première manifestation du genre, tenue à Cambridge en 1952 dans le cadre de l’enquête « enseignement de la science politique» de William A. Robson, des Tables Rondes ont été organisées sur une base à peu près annuelle. Au cours des premières années, leurs objets d’études tendaient à rester relativement larges et à préfigurer l’un des thèmes du Congrès suivant. À mesure de la spécialisation et de la fragmentation de la discipline et du développement corrélatif des Comités de Recherche et Groupes d’Étude, les sujets ont évolué vers plus de spécificité. Le choix de la localisation géographique des Tables Rondes a en revanche continué d’anticiper le lieu des futurs Congrès, l’organisation d’une Table Ronde offrant une occasion au Comité Exécutif d’évaluer la capacité de l’université d’accueil à organiser une manifestation scientifique de plus grande ampleur.

Plus récemment, des Symposiums réguliers se sont ajoutés à la liste des activités organisées par l’AISP. Sortes d’intermédiaires entre les Tables Rondes et les Congrès dans leur ampleur comme dans leur degré de spécificité, ils se structurent autour d’un thème unique et permettent à l’Association « d’occuper le terrain » entre les Congrès. La logique est celle d’un état des lieux des connaissances sur des sujets tels que Elections and party systems in contemporary democracies (1993), The challenge of regime transformation: New Politics in Central and Eastern Europe (1996), Globalization and the future of nations and states (1998), Ethnicity in the first world, the third world and ex-communist countries (2000), Mastering globalization : new states’ strategies (2002), Democracy and political party financing (2003), Web portals for social sciences (2005), Cultural diversity, identities and globalization (2007) et International Political Science: New Theoretical and Regional Perspectives (2008).

Volume 1, no. 1-2 de l’International Political Science Abstracts – 1951Outre ces événements, l’AISP a contribué au cheminement intellectuel de la science politique à travers deux publications phares : les International Political Science Abstracts et la Revue Internationale de Science Politique (RISP).

Historiquement, les premiers précèdent de beaucoup la seconde : ils sont lancés dès 1951 par Jean Meyriat, secrétaire général du Comité International pour la Documentation en Sciences Sociales (CIDSS) – organisme dont la création a du reste également été impulsée par l’Unesco – et directeur des Services de documentation de la Fondation Nationale des Sciences Politiques. Avec la Bibliographie Internationale de Science Politique (BISP) – qui est publiée sous les auspices conjoints de l’AISP et du CIDSS jusqu’en 1955, avant de se détacher de l’AISP et de finalement connaître sa dernière publication en 1987 – ils adoptent une logique d’inventaire qu’ils déclinent cependant un peu différemment. La BISP, publication annuelle, a pour objectif de recenser les principales publications – qu’il s’agisse d’articles ou d’ouvrages – de science politique parues au cours de l’année écoulée. Les International Political Science Abstracts s’attachent à publier les résumés d’articles parus dans une sélection de revues de science politique, à indexer ces résumés et à les classer en six grandes catégories :

I/ Science politique : méthodes et théories.
II/ Penseurs et idées politiques.
III/ Institutions politiques et administratives.
IV/ Vie politique : opinion publique, attitudes, partis, forces, groupes et élections.
V/ Relations internationales.
VI/ Études nationales et régionales.

Recensant actuellement près d’un millier de revues et publiant plus de 8 000 résumés par an pour compléter une base de données remontant à 1951 et déjà riche de 264 000 références, les Abstracts se sont imposés comme une ressource bibliographique incontournable et une activité financièrement viable pour l’AISP. Ce succès tient largement à la personne de Serge Hurtig, successeur de Meyriat comme directeur des Abstracts en 1963 et à la tête de la revue depuis maintenant quarante-cinq années. Depuis 2001, il exerce cette charge aux côtés de Paul Godt, qui lui a succédé comme responsable.

Ce n’est que longtemps après la publication des premiers numéros des Abstracts, à la fin des années 1970, que l’AISP envisage l’édition d’une Revue Internationale de Science Politique. Le caractère tardif de cette décision est assez surprenant, dans la mesure où la publication d’une revue figurait dès 1949 dans le programme prévisionnel de la future Association. Cela s’explique en partie par le fait que l’Unesco a longtemps mis une partie de sa propre revue – le Bulletin International des Sciences Sociales, devenu Revue Internationale des Sciences Sociales – à la disposition de l’AISP, et par la lourdeur très accaparante de la préparation des Congrès qui ne laissait pas au secrétariat le loisir de se lancer dans une tâche d’aussi grande ampleur que la publication d’une revue.
Si la RISP est finalement lancée en 1980, c’est pour deux raisons principales : contribuer bien sûr, comme l’Association, « à établir des liens entre les différents pays, les différentes idéologies et les différents champs de la science politique », mais aussi et surtout offrir un débouché aux travaux de qualité présentés lors des Congrès et autres manifestations scientifiques de l’AISP29.

Volume 1, no. 1 de la Revue Internationale de Science Politique – 1980Si la RISP est finalement lancée en 1980, c’est pour deux raisons principales : contribuer bien sûr, comme l’Association, « à établir des liens entre les différents pays, les différentes idéologies et les différents champs de la science politique », mais aussi et surtout offrir un débouché aux travaux de qualité présentés lors des Congrès et autres manifestations scientifiques de l’AISP29.

La Revue a la particularité d’avoir adopté, à l’origine, une approche particulière en se structurant autour de numéros thématiques dirigés par des éditeurs invités. À en juger par sa santé financière croissante et son facteur d’impact élevé, cette orientation s’est avérée payante. Malgré un turn-over plus important qu’aux Abstracts, ce succès découle notamment d’une grande longévité des (co)éditeurs de la RISP John Meisel (1980-1996), Jean Laponce (1986-2002), Nazli Choucri (1995-2001), James Meadowcroft (2000-2007), Kay Lawson (2001-2009) et Yvonne Galligan (2007-2009).

Au chapitre des publications de l’Association, on notera pour terminer les ouvrages qu’elle a, depuis l’origine, commandés ou contribué à publier. Au cours des trente premières années d’activité de l’AISP, ces publications ne faisaient l’objet d’aucun programme de long terme: rédigées au coup par coup sur la base de travaux de rapporteurs lors des Congrès ou Tables Rondes ou à partir d’enquêtes commandées par l’Unesco, elles ont été publiées par des maisons d’édition diverses et variées.

L’enquête sur l’enseignement de William A. Robson (1954) était de celles-ci, de même que La participation des femmes à la vie politique de Maurice Duverger (1955) ou New states and international organisations de Benjamin Akzin (1955), ainsi que de nombreux autres travaux ultérieurs. Ce n’est qu’au début des années 1980 que l’AISP entreprend de réunir ces publications hétéroclites sous une même bannière en lançant la collection d’ouvrages Advances in political science : an international series dirigée par Richard L. Merritt, président du Comité de programme du Congrès mondial de 1979. Malgré une certaine instabilité des partenariats avec les maisons d’édition successives – Sage, Butterworth et Cambridge University Press ont toutes tour à tour contribué à la publication de la collection au cours de ses dix premières années d’existence – et un nécessaire redémarrage en 1995 en partenariat avec MacMillan, ce sont plusieurs dizaines d’ouvrages qui sont, à ce jour, parus dans la collection.

À cette book series « principale » s’est ajoutée, au fil des années, une production importante issue des travaux des Comités de Recherche et des Groupes d’Étude de l’Association. Ce sont ces deux types de groupements qui, plus que tout autre, symbolisent l’entrée de l’AISP dans une démarche proactive de production de recherches inédites. Suggéré par Stein Rokkan – vice-président de l’Association Internationale de Sociologie (AIS) de 1966 à 1970 puis président de l’AISP de 1970 à 1973 – dès 1961, le projet de «constitution de comités permanents chargés de suivre la recherche dans un certain nombre de domaines»30. s’est finalement concrétisé en 1970. Il s’avère un succès : trois ans après l’entrée en vigueur du dispositif, les huit groupements élevés au statut de Comité voient leur action unanimement saluée par Conseil du 24 août 1973 – leur activité « a accentué et diffusé l’action de l’AISP » et « est en soi une preuve de la vitalité de l’Association et une excellente manière de décentraliser les activités scientifiques ». Trois ans et deux nouveaux Comités plus tard, deux décisions sont prises : celle, d’une part, de créer les Groupes de Spécialistes, sorte de statut intermédiaire entre le réseau informel et le Comité de Recherche, permettant aux groupes de « faire leurs preuves» avant d’accéder à une reconnaissance institutionnelle plus élevée ; et celle, d’autre part, de nommer un sous-comité chargé d’étudier la possibilité d’une représentation des Comités de Recherche au Conseil de l’AISP – dont les travaux déboucheront, trois ans plus tard, sur une modification des statuts de l’Association. Le dynamisme de ces deux types de réseaux transnationaux de chercheurs a pour effet de décentraliser l’activité scientifique de l’AISP, celle-ci n’exerçant plus qu’une « fonction de Clearing House»31, de sorte qu’il est difficile d’évaluer l’impact des travaux des Comités et des Groupes sur le développement intellectuel de la science politique. Mais d’un point de vue organisationnel, l’expérience est sans conteste un succès : quarante ans après la mise en place du dispositif, l’AISP compte aujourd’hui 50 Comités de Recherche actifs32.

Citons, pour terminer, l’IPSA Portal. Dernière des activités lancées par l’AISP, le Portal permet à l’Association de prendre acte du rôle croissant d’internet dans l’activité des politistes. Sous la responsabilité de son éditeur Mauro Calise, il recense, classifie, décrit et évalue quelques 300 pages web utiles à la pratique de la science politique.

À travers cette pléiade d’activités scientifiques, l’AISP affirme son ambition pour l’évolution intellectuelle de la discipline. Mais elle contribue, surtout, à ce qui est dans ses statuts son objectif principal : créer les conditions d’un franchissement des frontières nationales pour qu’émerge une communauté unique de chercheurs en science politique. Ce défi de l’internationalisation est sans nul doute celui qui a donné lieu, au fil des 101 réunions du Comité Exécutif, aux débats les plus intenses.

  Cérémonie d’ouverture du XXe Congrès mondial de l’AISP – Fukuoka International Convention Center, Japon, 9 juillet 2006  

 

Notes

  1. Lettre de Jean Meynaud à Francesco Vito, 16 janvier 1951.
  2. Lettre de Jean Meynaud à Peter H. Odegard, 30 octobre 1952.
  3. Lettre de Jean Meynaud à William A. Robson, 29 mai 1952.
  4. Lettre de Jean Meynaud à Fehti Celikbas, 26 juin 1950.
  5. Lettre de Jean Meynaud à William A. Robson, 12 février 1954.
  6. Lettre de John Goormaghtigh à Maurice Duverger, 19 août 1958.
  7. Discours  d’ouverture  de  Francesco  Kjellberg  au  Congrès  de  Paris 1985.
  8. Lettre de Jean Meynaud à Phedon Vegleris, 24 mai 1952.
  9. John Meisel, cité dans le compte-rendu de la réunion du Conseil de l’AISP, 12 août 1979.
  10. Lettre de Serge Hurtig à Stein Rokkan, 14 décembre 1961.
  11. AISP, « Réunion du Comité Exécutif, 25 août 1973 ».
  12. La  distinction  Comités  de  Recherche / Groupes  d’Étude  (successeurs des Groupes de Spécialistes) a été abolie en 1999. Ne subsiste plus à présent que l’unique catégorie de Comité de Recherche, et les nouveaux Comités sont soumis à une période probatoire.